La vieille ville de Rhodes, l'étendue de ses remparts, les quartiers cosmopolites, les auberges, la visite du Palais des Grands Maîtres m'ont fourni le cadre et le début de l'histoire.
Le siège de Rhodes, la résistance des sept cents hospitaliers pendant six mois contre une armée ottomane de près de cent mille guerriers, sont suffisamment épiques pour me fournir la trame.
Dans ce cas, il me fallait m'intéresser à la population civile, des Grecs pour la plupart qui se sont retrouvés au milieu de combats qui ne les concernaient pas.
En effet, nous sommes en juin 1521. Constantinople a été prise en 1453, plus de soixante-dix ans. L'Empire byzantin a disparu. Toute la Grèce est devenue ottomane après avoir subi le joug des Francs depuis le sac de 1204.
Le Sultan respecte la liberté de culte, pourvu que les populations paient le tribut et ne s'intéressent qu'au commerce.
De nombreux Génois se sont installés dans le quartier de Galatas à Istamboul. La république génoise et les Vénitiens font du commerce avec la Sublime Porte.
Les armateurs grecs font du commerce en transportant par la mer, les marchandises dont les Ottomans ont besoin ainsi que les épices et étoffes qu'amènent les caravanes.
Malgré les privations de droit et les brimades dont ils font l'objet, les populations vivent dans une paix précaire qui s'est installée.
Les guerres contre les Safavides, pour la prise de Tabriz ou de Bagdad ou contre les catholiques dans les Balkans sont lointaines. Les seules conséquences sont les impôts et l'enlèvement de jeunes grecs dont on fera des Janissaires.
Cette troupe d'élite de plusieurs milliers de membres constitue, avec la puissante artillerie, la force de l'armée ottomane, car il s'agit d'une armée de métier.
À Rhodes, les hospitaliers sont donc considérés comme des occupants. Les impôts pleuvent, les brimades, les corvées, les risques de se voir entrainé dans une guerre qu'ils jugent inutiles, sont le lot de la population.
Il s'agit d'artisans, de pêcheurs, de paysans, de commerçants. Dans le port de Mandraki, les goélettes battent tous les pavillons de l'Égypte à Gênes et le commerce va bon train.
En 1521, le tout jeune Sultan veut laver l'affront fait à son grand-père qui n'a pas réussi à prendre, en 1480, cette forteresse chrétienne au milieu des mers contrôlées par les Turcs.
À son arrogance, les Hospitaliers qui ont été chassés des siècles plus tôt du royaume de Jérusalem répondent par la pugnacité. Ils sont les défenseurs avancés de la chrétienté. Tout du moins le croient-ils.
Ils sont pourtant anachroniques. Le temps des croisades est terminé, après une série de lamentables échecs.
Les monarques chrétiens se font la guerre entre eux pour des héritages issus de la féodalité. François 1er, le stupide roi de France, se bat contre Charles-Quint pour le Milanais jusqu'à sa déroute à Pavie en 1525.
Le Pape combat pour préserver ses états au milieu des principautés italiennes qui se font la guerre pour le bonheur des condottieri.
Mon but n'était pas de faire un livre d'histoire, mais de replacer la vie d'une jeune femme au milieu de ces désordres. C'est pour cela que l'idée de créer le personnage de Francesca Vespucci m'est venue.
À la fin du siège, à dix-huit ans, la jeune fille se retrouve prisonnière et offerte à son futur maître comme cadeau. C'est ignoble si on s'en rapporte à nos mentalités, mais c'est le lot de nombreuses jeunes femmes qui se retrouvent dans le harem de Topkapi et de ceux des grands dignitaires.
C'est l'occasion, pour moi, de me retrouver, au plus près de la vérité historique et donc loin des descriptions de nos écrivains ou peintres du dix-neuvième siècle.
De tout temps et dans toutes les civilisations, il y a eu des esclaves pour faire les travaux ménagers ou des champs.
Dans les harems on retrouve les Kadins et leur suivante et les servantes les plus misérables. Ces harems sont organisés de manière pyramidale. J'ai indiqué dans l'annexe du roman, les différents niveaux allant de l'odalisque à la kadin.
Dans ce cercle fermé, la promiscuité, la jalousie, la maladie, les brimades sont le lot de tous les jours.
Les plus belles femmes, dès lors qu'elles sont repérées par l'eunuque chargé de la gestion du harem ou par le maître ou l'un de ses adjoints, sont entrainées dans une spirale d'humiliations, des haines, d'espoirs aussi de s'en sortir si elles plaisent aux maîtres.
Les dangers sont immenses, car le risque d’avoir déplu, le poison versé par une rivale ou la cordelette des muets ne sont jamais loin.
En suivant le terrible parcours qui s'impose à Francesca, nous découvrons les craintes, les rares moments de bonheur, la jalousie et tous les rites ou coutumes qui s'imposent dans la vie quotidienne de ces jeunes femmes.